comment cela était-il possible ? La mort de Myriam Michel aurait du couper automatiquement l’accès à son cloud. Les ingénieurs du laboratoire de recherches numériques de Tübingen refirent leurs calculs et vérifièrent à nouveau le réseau de communication à énergie quantique qu’ils venaient d’inventer. Tout était normal. Tout fonctionnait bien. Tout fonctionnait même trop bien! Cette invention permettait le fonctionnement d’Internet sans fil et reliait le réseau Internet directement au cerveau de l’abonné. Mais on venait de découvrir qu’il continuait à fonctionner après la mort de ce dernier. Il y eut des fuites dans la presse qui d’abord s’en amusa beaucoup. Même les morts étaient maintenant connectés ! Mais à qui allait on demander le paiement de l’abonnement ? Puis il y eut cette émission télévisée au cours de laquelle le Professeur Schwarz, neurologue de renommée mondiale, émit l’hypothèse que la morte n’était peut-être pas tout à fait morte. Elle l’était certes légalement puisque le cœur avait cessé de battre et que cela devait entraîner une dégradation irrémédiable du cerveau mais en fait on ne savait scientifiquement pas ce qu’était la mort. Il existait de nombreux exemples de gens qu’on avait cru morts et qui seraient revenus de l’au-delà. En fait il était bien possible que ces gens qu’on croyait revenus du royaume des morts n’y étaient tout simplement pas encore entrés. Cette révélation causa une énorme émotion. N’enterrait on pas les gens trop tôt ? Et tous ces milliards de gens qu’on s’était empressé d’enterrer depuis le début de l’humanité étaient ils bien tout à fait morts ? On vit paraître sur les réseaux sociaux et dans tous les médias des exemples nombreux de gens qu’on croyait morts et qui donnaient encore des signes de vie. Les fantômes et autres vampires n’étaient-il que des vivants un peu trop vite enterrés ? Le Christ lui-même n’était-il pas sorti vivant de la grotte dans laquelle on avait enfermé son cadavre ? Il n’était pas normal qu’il puisse exhiber les stigmates de sa crucifixion bien après sa mort ! Il y avait bien d’autres exemples troublants ! S’il y avait bien des définitions juridiques de la mort, du reste variables selon les états, il n’y avait pas de définition scientifique universellement indiscutable. Par convenance sociale, pour se prémunir contre les épidémies et permettre la transmission des patrimoines et la fin des contrats, on avait seulement fixé réglementairement à quel moment précis une personne était morte: en gros quand l’autorité administrative compétente l’avait décrété.
Une autre explication fut avancée par les ingénieurs électroniciens qui ne permit pas de calmer les émotions bien au contraire. Il se pouvait que les flux magnétiques entretenus par le réseau Internet quantique maintenaient artificiellement une faible activité du cerveau. Afin de mettre un terme aux nombreux troubles sociaux qui apparaissaient de ci, de là et menaçaient de se répandre énormément car les tentations se multipliaient pour s’opposer à l’enterrement et surtout à l’incinération des morts, le gouvernement fit procéder à de nouvelles expertises pour rechercher si Myriam Michel était bien morte. Si internet pouvait rester actif au décès des gens connectés, il devait être possible de communiquer avec le cadavre. On lui envoya un message demandant si elle était encore vivante. Après quelques hésitations et signes bizarres, les experts enregistrèrent des réactions. Le cadavre répondait. A leur grand effroi ils purent déchiffrer « j’ai froid » puis la communication devint plus aisée et il y eut un autre message « j’ai faim… j’ai soif… » Des groupuscules issus pour la plupart de milieux religieux s’insurgèrent. Il fallait laisser les gens mourir en paix ! Le réseau Internet était une invention diabolique ! Des individus réussirent à s’introduire dans le cimetière de la ville de G. dans le sud de Stuttgart et à défoncer le cercueil. Avec une sauvagerie qui causa une grande indignation, ils s’acharnèrent sur le corps, allant même jusqu’à lui trancher la tête mais en vain. Les experts électroniciens perçurent clairement le message : « je souffre. » Le gouvernement décida dans le plus grand secret de renouveler l’expérience avec d’autres cadavres connectés. Les réactions furent identiques, les cadavres demandaient à boire, à manger et à être chauffés. L’un d’eux exigea même qu’on vint faire le ménage dans son cercueil parce que cela commençait vraiment à sentir trop mauvais.
Malheureusement malgré toutes les mesures prises pour que cette expérience restât secrète, des hackers vraisemblablement russes réussirent à avoir accès aux résultats des recherches et bientôt un article paru dans un journal français relatant les expériences en cours. Le journaliste refusa de citer ses sources et des manifestations eurent lieu pour que ces expériences furent publiées. Il devint bientôt de notoriété publique à travers la planète que quelque soit la cause des signaux électriques du réseau Internet, on pouvait encore être connecté par le cloud et un réseau quantique, après sa mort. Ce fut le boom des marchés funéraires de luxe. Ceux qui purent se le permettre, se commandaient des cercueils immenses chauffés avec musique et aération et des tuyaux d’alimentation. On pouvait même venir leur parler ou leur faire entendre de la musique. La mort n’existait plus !
La mort n’existait plus mais quelle vie ! Les cadavres continuaient à pourrir et les enfants se ruinaient à essayer de les maintenir en bon état sans pour autant calmer les plaintes des morts. Ils prétendaient souffrir énormément et c’était une torture pour les enfants. Il y eut des règlements de comptes patrimoniaux « post-mortem ». Les notaires ne pouvaient plus clore une succession Il y eut des suicides ! Après tout si la mort n’existait pas, pourquoi se priver ? Enfin la mort n’étant plus vivable ni pour les morts, ni pour les vivants. Les gouvernements décrétèrent que le réseau Internet devait être coupé au plus tard trois jours après le décès des abonnés et on fit paraître des avis de soi-disant experts dans tous les réseaux sociaux et autres journaux déclarant que tout cela était un subterfuge des hackers russes. Les notaires purent reprendre leurs dossiers de succession et les entreprises de pompes funèbres, leurs enterrements à bon marché. On observa cependant une augmentation très notable des incinérations.