Le chien du Président


Sensible aux recommandations de ses conseillers en communication, le nouveau jeune et brillant Président de la république française accepta d’acquérir un chien afin de donner une image de lui-même plus humaine aux Français.
Comme d’habitude, rien chez lui ne fut laissé au hasard et c’est un chien abandonné (soigneusement sélectionné par plusieurs de ses proches conseillers après plusieurs rendez-vous avec l’animal, dignes du recrutement d’un cadre de très haut niveau, examens médicaux divers, recherches d’antécédents,… ) que Martin, c’est ainsi qu’il sera baptisé (après tout Martin n’est-il pas le nom le plus répandu chez les Français ?) que Martin donc fit son entrée à l’Elysée sous le feu des caméras et des journalistes « de tous poils »
Martin, qui avait passé de nombreux mois désolants dans une cage de la Société Protectrice des Animaux qui l’avait recueilli, découvrit un monde nouveau. Il se souvint de son enfance chez un couple de Français dont le divorce fut cause de son exil douloureux. Il avait été donné à ce couple par le père du marié qui possédait une femelle griffon. Celle-ci s’était échappée, était revenue dans un triste état puis devait bientôt mettre bas une portée de chiots dont un braque portait vraisemblablement la paternité. Il se révélera par la suite que ce chien braque lui-même s’était échappé des appartements fastueux de l’Élysée où il avait été adopté avec les mêmes préoccupations de communication publique, par un ancien Président de la république (pourtant du camp adverse) qui l’affichait dans son salon lors de la réception de journalistes puis en confiait le soin au personnel de l’Élysée. Un maître d’hôtel s’était attaché à lui, avait pu identifier la filiation de ce chien et c’est tout naturellement, qu’il accepta de s’occuper du chien Martin lorsque son maître était occupé à un de ses nombreux rendez-vous ou déplacements.
Mais le nouveau Président avait lui le sens du devoir et entreprit d’élever lui-même ce chien singulier, sans race ou du moins porteur de nombreuses races diverses, ce qui singulièrement veut dire la même chose, d’un caractère emporté, avec des démonstrations joyeuses d’attachement et des accès de colère spectaculaires, surtout lorsque les leçons de discipline de son maître lui paraissaient trop sévères, bref un vrai Français ! Il considéra d’abord avec défiance ce maître si parfait qui lui tombait du ciel. Certes le Président était beau, d’une tenue irréprochable, s’exprimait avec un ton bienveillant et conservait en toute occasion, une grande maîtrise de lui-même en s’exprimant néanmoins avec une grande conviction. Il savait également l’encourager en lui prodiguant des caresses, des compliments et le faire profiter des restants de ses assiettes copieusement servies par des cuisiniers de grand talent. Les restes étaient généreux car le Président surveillait sa ligne, ce qui n’était pas le cas de Martin qui se goinfrait autant qu’il pouvait et qui trouva bientôt le chemin de la cuisine pour chaparder du rab malgré les remontrances du Président. Mais toutes ces exigences de propreté, de discipline, de pondération, d’acceptation des contraintes nouvelles devinrent bien vite insupportables à Martin et dès que le Président avait le dos tourné, Martin sautait sur les fauteuils Louix XVI, pissait sur les rideaux et aboyait en fanfare quand il rencontrait un conseiller de l’Elysee un peu joueur. C’est à croire que Martin prenait un malin plaisir à sauter sur les genoux des gens quand il revenait de promenade alors qu’il venait de pleuvoir. On faillit plusieurs fois causer un incident diplomatique. Le nouveau roi d’ Arabie Saoudite s’emporta violemment lorsque Martin amusé par les remous de sa robe, voulut l’arracher avec ses dents et si le personnel de sécurité ne s’était pas interposé, les gardes du corps du roi auraient mitraillé tout ce qui bouge à l’Elysee. Le chef du protocole ne savait plus comment s’y prendre avec lui. Le maître d’hotel était parti à la retraite. Il fallut malgré les restrictions budgétaires, créer un poste supplémentaire de maître Chien de l’ Elysee qui avait pour mission d’éduquer le chien et de le tenir à distance de tous les visiteurs. On fit une exception lorsque le Président recevait des délégués syndicaux car on remarqua que la présence de ce chien agité et bruyant les détendait et ces derniers ne manquaient de faire remarquer qu’il y avait à l’ Elysee quand même quelqu’un qui semblait les écouter !
Mais cette vie devint décidément trop disciplinée pour Martin et malgré la bonne nourriture qu’il obtenait en abondance, en faisant au besoin des grâces aux cuisiniers qui continuaient à le gâter malgré l’interdiction du Président, les leçons de maintien lui étaient trop pénibles. Il avait la nostalgie de sa vie d’avant quand il pouvait courir partout en aboyant de façon bruyante et intempestive et s’amuser en allant chaparder et puis cette vie à I Elysee, elle manquait beaucoup de compagnie et d’abord de galante compagnie! Aussi un jour, réussissant à déjouer la surveillance du maître chien, et profitant de l’absence du Président, en déplacement à Bruxelles pour la construction européenne, Martin s’enfuit. Grace à son flair exceptionnel, il réussit à retourner dans la maison où il avait été élevé. Mais son ancien maître n’habitait plus là. La maison était maintenant habitée par des étrangers avec de nombreux enfants qui le chassèrent à coup de bâton et de pierres. Blessé il repartit et réussit à retrouver la trace de ce délégué syndical à grosses moustaches qui lui faisait la fête à I Elysee même quand ses pattes étaient boueuses. Après un moment d’hésitation et après avoir vérifié le collier, celui le reconnut. L’occasion était trop belle, il appela des journalistes et leur expliqua que même son chien ne voulait pas de ce maître. Les journaux satiriques s’en donnèrent à coeur joie mais que faire du chien ? Il habitait un modeste appartement en banlieue parisienne et sa femme ne voulait pas d’un chien qui de surcroit à vivre à l’Elysee, avait du acquérir des goûts de luxe qu’on ne pourrait pas satisfaire et puis ce chien ne leur appartenait pas, il fallait le rendre ! Le délégué syndical qui avait à la maison un patron inflexible, dut se résoudre à le rendre mais à I Elysee, on lui répondit que ce n’était pas le chien du président et on présenta aux journalistes un autre chien identique à celui-là. Les conseillers de l’Elysee avaient eu la précaution, en cas d’accident, de garder en réserve un autre chiot de la même portée
Ne sachant que faire de ce chien, le délégué syndical le confia à un paysan de ses amis. Martin se retrouve attaché dans la cour d’une ferme, dans une niche par une chaîne, exposé au froid, à la pluie et aux puces avec pour toute nourriture quelques misérables reliefs des repas de ses maîtres.
Martin resta plusieurs semaines à hurler à la mort dans la cour jusqu’à ce que le paysan exaspéré le fit taire en reculant « accidentellement» avec son tracteur.


Publié le

dans

par