Phileas rentra chez lui, sans tarder. Ce ciel triste et cette tiedeur de novembre devenue habituelle étaient trop déprimants et il n’avait pas envie de traîner dans la rue. Pour redonner une ambiance réconfortante à son appartement en désordre, il se prépara une soupe odorante avec des légumes frais qu’il éplucha lui-même, un morceau de saucisse fumée et du thym puis pendant que tout cela mijotait gentiment, en attendant l’heure du souper, il prit un bain en écoutant l’art de la fugue de Bach, éclairé seulement d’une bougie en sirotant une bière fraîche et délicieusement amère puis détendu, il enfila un survêtement et la veste de grosse laine que sa mère lui avait tricotée et qui lui permettait de baisser d’un demi-degré la température de son appartement et ainsi contribuer à lutter contre le réchauffement climatique. Puis il s’installa devant son ordinateur avec son bol de soupe fumante. Des messages publicitaires et des nouvelles plus sensationnelles les unes que les autres lui sautèrent au visage. Il les massacra sans pitié et rechercha sur Youtube, des images de corail dans les fonds marins. C’est alors qu’il lui fut proposé de cliquer sur un lien qui allait non seulement lui transmettre des images merveilleuses de poissons multicolores mais également de sentir les embruns.
Pourquoi pas ? ce fut un enchantement, il était sur une barque qui s’éloignait vers le large sous un ciel radieux. Le bleu du ciel dansait sur le bleu des vagues et il ressentait la caresse d’une écharpe de brise sur son visage. Il se laissa emporter envoûté par cette valse marine. Plus loin la coque d’un bateau apparut sur sa droite et avant qu’il ait pu comprendre, une vedette se dressa devant lui et un individu patibulaire la tête couverte d’un turban lui montrait les bras tendus une grande affiche sur laquelle était maladroitement écrit « tu nous envoies 20000 euros dans les 24 heures où nous le tuons »
C’est alors que la caméra montra un homme à genou, la lame d’un couteau appuyée sur sa gorge et derrière lui un autre homme avec un turban et une mitraillette en bandoulière qui le maintenait au sol et tenait le couteau. Puis le premier homme en vociférant des termes incompréhensibles, exhiba une autre affiche sur laquelle étaient inscrits les chiffres d’un compte bancaire et le nom « Nigerian bank » Puis la caméra revint sur le visage horrifié de l’homme à genoux. « avant 30 minutes » hurla le premier terroriste en secouant frénétiquement l’affiche arborant le compte bancaire « sinon » il fit signe de trancher la gorge. Pétrifié d’épouvante Phileas ne pouvait croire ce qu’il voyait « mais, mais je n’ai pas cette somme ! » s’écria-t-il sans même savoir si l’autre l’entendait mais l’autre l’entendait très bien « trouve la ! » entendit-il en bon français. On aurait dit une autre voix, comme enregistrée. Ce n’était pas possible. Il était l’objet d’une farce de très mauvais goût. Non Cela ne pouvait pas être possible ! Il essaya de quitter l’application mais rien à faire, il n’avait plus le contrôle de son ordinateur. Complètement affolé Phileas arracha le cable électrique pour débrancher son ordinateur. Cette fois l’ordinateur s’éteignit. Phileas resta de longues minutes à contempler l’écran noir, hébété, se demandant comment une telle chose était possible. C’était à coup sur un coup monté. Il y avait maintenant tellement d’escrocs qui s’affairaient sur le réseau internet pour soutirer de l’argent à des victimes trop naïves. Il se décida enfin à rebrancher son ordinateur mais aussitôt la vedette réapparut avec l’homme à genou et l’autre debout derrière lui tenant le couteau contre sa gorge. « tu n’as plus que 12 minutes ! » dit l’homme qui tenait toujours l’affiche tendue avec les références du compte bancaire. Aucun moyen de quitter l’application. Aucun moyen de vérifier si la scène qui se déroulait devant lui était ou non factice. Tout paraissait parfaitement vrai. Pouvait-il prendre le risque de voir sacrifier un homme ? Il fallait gagner du temps afin de vérifier que tout cela était faux et sortir de ce cauchemar. « attendez je ne peux payer pour l’instant que deux mille euros. Après il me faudra plus de temps pour trouver à emprunter le reste »
« entendu » répondit la voix métallique « 2000 euros tout de suite » il put alors retrouver la maitrise de son ordinateur. Il allait donc pouvoir sortir de l’application pirate. Phileas s’empressa d’aller rechercher sur son ordinateur les programmes qui auraient pu être installés à son insu. Il crut trouver quelque chose qu’il s’empressa de supprimer mais sans qu’il le sache, il n’avait fait que lancer une alerte qui révélait sa tentative de couper le lien avec l’application pirate et aussitôt, elle reparut. L’homme à l’affiche s’écria « tu as essayé de nous duper. Mais tu ne nous échapperas pas. Nous serons toujours là. Où que tu ailles, nous serons là. Nous te retrouverons ! » Phileas poussa un hurlement. Le deuxième homme venait de trancher la gorge de l’otage qui s’écroula sur le pont dans une marre de sang mais avant que Phileas puisse se ressaisir , l’homme au couteau avait bondi jusqu’à la cabine d’où il ramenait un autre homme les mains attachées dans le dos et qu’il forçait à s’agenouiller dans la mare de sang qui envahissait le pont.
« Tu n’as plus que 6 minutes pour transferer 2000 euros puis ensuite 30 minutes pour trouver le solde »
Tremblant tellement qu’il lui fallut s’y prendre à plusieurs reprises pour se connecter à son compte bancaire aussitôt qu’il retrouva la maitrise de son clavier, essayant vainement en même temps d’envoyer avec son téléphone portable des messages au secours à des proches, à sa banque et à la police, Phileas ordonna le transfert de 2000 euros à la Nigerian Bank. Il n’osa pas débrancher son ordinateur car cela allait à nouveau être interprêté par les terroristes comme une tentative de ne pas payer, Il épela en bégayant les références de l’avis de virement aux terroristes imperturbables.
« – Tu as encore 30 minutes pour payer le solde. N’éteins pas ton ordinateur »
Il réussit en vain à joindre la police mais il ne fallait pas que les terroristes comprennent à qui il parlait.
« Monsieur , s’il vous plaît écoutez moi bien, je vous en supplie écoutez moi. Il y a un homme qui va être égorgé si je ne verse pas 18000 euros. Ils ont déjà tué un autre homme parce que j’ai essayé de leur échapper . J’ai payé 2000 euros mais ils veulent que je paye 18 000 euros supplémentaires sinon ils vont tuer… égorger l’autre également. Je vous en supplie aidez moi à trouver l’argent !
- Vous êtes où ?
- Je suis chez moi mais les terroristes ont pris le contrôle de mon ordinateur et je ne peux pas leur échapper
- Calmez vous ! ils sont où les terroristes ?
- Je ne sais pas exactement quelque part sur la mer
- Et vous attendez qu’on affrête un avion pour essayer de les trouver quelque part sur la planête? Si vous faites l’objet d’une tentative d’escroquerie sur internet, il faut déposer une plainte sur le site du ministère de la justice, vous remplissez le formulaire et un rendez-vous vous sera proposé. Au revoir monsieur.
- ça ne marche pas « dit tout haut Elliot à l’attention des terroristes qui le regardaient narquois
Il essaya de contacter sa chargée de compte à sa banque qui lui répondit
« vous voulez que je fasse obstacle au virement mais je ne peux pas monsieur puisque votre compte n’a pas été piraté »
Il se résolut à appeler sa mère qui lui dit
« mais ne te mets pas dans des états pareils mon chéri ! tu les connais ces gens qu’ils veulent tuer ? Non ? Ce sont des africains ? alors pourquoi tu t’embêtes ! laisse les faire leurs affaires entre eux. On a déjà assez de problèmes avec tous ceux qui sont chez nous ! » - c’est impossible ! je n’y arrive pas » dit Phileas aux terroristes en sanglotant, je n’arrive pas à avoir l’argent
- combien tu as encore ?
- il ne me reste que 500 euros
- donne 500 euros et après on te lâche
Phileas fit un nouveau virement de 500 euros
Les terroristes tinrent parole. La vedette disparut de l’écran qui retrouva sa configuration habituelle. Phileas s’empressa de l’éteindre. Le jour suivant il alla jeter son ordinateur à la décharge publique avec une affiche « attention virus très dangereux et indétectable » Il venait d’acheter un nouvel ordinateur et de prendre une nouvelle connection chez un autre fournisseur d’accès lorsque l’information parut dans la presse et les autres médias que des gangs de Nigeriens soutenus par des hackers russes en sous-main avaient trouvé un nouveau moyen d’escroquer les européens. Ils prenaient des otages d’une autre tribu et les exécutaient froidement si une rançon n’était pas aussitôt payée. Il n’y avait malheureusement pas de moyen de libérer ces otages qui étaient dans des territoires étrangers inaccessibles. Le quai d’Orsay envoya des protestations au gouvernement nigerien et recommanda de bien vérifier l’authenticité des sites internet fréquentés car les pirates étaient devenus très habiles pour simuler des sites même publics. Le gouvernement réfléchissait à de nouvelles mesures d’identification pour s’assurer que le site internet fréquenté était bien celui escompté. Cela allait permettre d’échapper aux pirates pendant un certain temps ….. mais bon il valait mieux ne pas s’aventurer en haute mer d’internet….