Imbrogio Nord Sud

La mère Lucie, petite araignée noire, le fils aîné, Antoine, infirme suite à l’explosion de son véhicule pour toucher l’assurance, le fils cadet , Lisandru énorme, d’une force de taureau et amorphe, la fille: Pauline petite chose triste et résignée soumise à sa mère. La maison a deux étages. le père, Ange Casanova est conservé dans une immense jarre dans les combles. Il macère dans des plantes parfumées du maquis, à cause des odeurs, depuis plusieurs années. Il est toujours officiellement en vie ce qui permet à la famille de continuer à percevoir sa retraite et ses pensions maladies diverses. Il est mort dans une bagarre avec son frère Tino par suite d’un différend sur le patrimoine. En temps ordinaire, la famille habite l’étage du dessus mais sur la porte d’entrée on a inscrit le nom de jeune fille de la mère Graziosi afin de tromper les huissiers et les gendarmes. Le facteur est au courant. Le rez de chaussée est occupé par Tino, le frère de Monsieur Casanova mais on n’a plus de nouvelles de lui depuis la tragique bagarre. La maison est en indivision successorale depuis la nuit des temps et les dépendances nombreuses (bergerie, atelier, garage…) ne sont pas déclarées à l’administration et ne sont pas enregistrées au cadastre. C’est la mère qui dirige tout. Ca gueule souvent mais tout le monde obéit. Les appels à table de la famille sont particulièrement colorés. Quand le repas est enfin prêt, la fille l’apporte à table d’un pas fatigué et les deux frères qui se sont calcifiés dans les fauteuils devant la cheminée, finissent par s’arracher sous les insultes de la mère qui les traite de déchets de la société, de parasites, de profiteurs et menace de les foutre dehors, s’ils ne viennent pas tout de suite. Les enfants l’affrontent en disant qu’ils vont l’envoyer dans une maison de retraite. Mais un jour, stupéfaction: un gros hollandais avec une femme blonde et laiteuse et une fille taciturne, ouvre la porte du rez-de-chaussée avec une clé. Ce sont les nouveaux propriétaires. Ils ont acquis l’appartement de Tino en garantie d’une dette de ce dernier à qui ils ont vendu un commerce de gauffres en Belgique et qui ne peut pas payer. Les Casanova apprennent à l’occasion qu’il a fui en Belgique par crainte d’une vendetta. Le notaire flamand a mis les van Frick en garde contre l’absence de preuves que les actes de propriété douteux sont authentiques mais c’était ça ou rien. D’indivisions successorales en indivisions successorales et en l’absence d’inscription des réelles limites de la propriété au cadastre, on n’arrivait plus à savoir qui est propriétaire de quoi. « Les corses ont réalisé le rêve de Karl Marx » soupirait le notaire « ils ont aboli le droit de propriété ! » Finalement puisqu’ils ne pouvaient pas recouvrer leur argent autrement, les van Frick s’étaient dit que cet appartement leur ferait une résidence secondaire au soleil. Stupéfaction des Casanova. Les deux frères Antoine et Lissandru commençaient à s’énerver et voulaient jeter dehors les Van Frick avec pertes et fracas mais la mère s’avisa, peut-être à cause du nom, qu’il pouvait y avoir quelque chose à tirer de tout cela. Il serait toujours temps de se débarrasser d’eux plus tard quand on saurait mieux quel profit on pouvait en tirer ! En attendant, ils contemplaient incrédules ces grosses gélatines roses qui totalement inconscientes et sans pudeur s’exposaient au soleil, sur des chaises longues, au moment le plus chaud de la journée. Une complicité devait cependant naître rapidement entre les deux filles qui après s’être toisées avec des expressions hostiles, finirent par se reconnaître l’une dans l’autre. Sans qu’il fut besoin de l’expliquer, Pauline et Sarah comprirent rapidement qu’elles poursuivaient toutes les deux le même objectif: échapper à leur mère. Les deux frères, dissimulés derrière les volets clos, contemplaient avec intérêt Madame Van Frick durant ses séances de bronzage.

Les deux familles s’observaient, s’efforçaient de se montrer aimables, de s’adapter à cette situation nouvelle, de se rendre des menus services mais bien vite il y eut un premier différend sur le nettoyage du chemin qui mène à la maison. Les Casanova ne voulant rien faire, les Van Frick entreprirent de nettoyer, de couper l’herbe et plantèrent des fleurs. Cela indisposait les Casanova qui craignaient de se faire remarquer. On allait venir leur réclamer des taxes et des impôts pour un terrain dont ils refusaient d’être reconnus propriétaires mais qu’ils occupaient en prenant bien soin de lui laisser l’apparence d’un terrain abandonné. De surcroît, à la fin de l’été, alors que les Casanova s’attendaient à les voir déguerpir pour retourner dans leurs confortables brumes du Nord, les Van Frick leur apprirent qu’ils avaient finalement décidé de s’installer définitivement dans ce merveilleux pays. Les relations allaient certainement devenir très difficiles si un jour Monsieur Van Frick ne s’était présenté à la porte des Casanova, effondré. Il avait reçu de l’administration fiscale belge une sommation d’avoir à payer un supplément d’impôt pour des revenus qu’il n’avait pas déclarés. C’était la faillite assurée. Il n’y avait rien à faire. Il allait être mis en prison. Monsieur Van Frick ne payait pas régulièrement ses impôts ! Voilà qui le rendait sympathique aux yeux des Casanova. Et quoi ce n’était pas la peine d’en faire un drame!
« – Avec tout ce qu’ils nous prennent là-haut et tout ça pour s’en mettre plein les poches!

  • Vous ne comprenez pas » répliqua Monsieur van Frick, « j’ai fait une fausse déclaration car je n’ai pas déclaré aux impôts le prix du fonds de commerce que j’ai vendu à votre parent. Je ne l’ai pas déclaré parce qu’il ne m’a pas payé mais j’aurais dû le déclarer quand même puisqu’il m’ a donné son appartement en garantie et maintenant ils m’ont retrouvé car je me suis installé dans cet appartement et j’ai déclaré que j’en étais devenu propriétaire. Ils vont saisir mon appartement et moi je finirai en prison.
  • Comment ? » se récrièrent les Casanova, « en Belgique on va en prison si on ne paie pas ses impôts pour une somme d’argent qu’on n’a pas reçue? Ils sont fous ces belges! Alors la justice avec la police va venir ici pour vous chercher ? Ah ça ne va pas du tout ça ! On ne veut pas voir la police ici !
  • Que faire ?
  • Il faut vous cacher ! s’écrièrent les Casanova. « Nous avons un cousin qui possède une bergerie dans le maquis. Vous pourrez vous y cacher en attendant que les choses se tassent. Ne vous inquiétez pas, on en a tassé bien d’autres ! ».
    Ainsi fut fait et tous les jours Madame van Frick ou bien sa fille, accompagnée de Lisandru Casanova qui finalement s’intéressait beaucoup à Sarah et faisait du régime pour paraître séduisant, allaient discrètement apporter de la nourriture à Monsieur van Frick. Quelques semaines plus tard, en effet trois policiers français vinrent sur commission rogatoire d’un procureur belge interroger Monsieur van Frick. Comme convenu, on prétendit qu’il était parti depuis trois semaines et qu’on ne savait pas où il était. Mais les policiers ne s’en laissèrent pas compter et voulurent fouiller la maison. Ils fouillèrent partout, jusqu’au grenier où ils trouvèrent la jarre. Elle était bien lourde cette jarre et pourquoi y avait-on entassé toute cette terre, si on n’en faisait rien ? Les Casanova se troublèrent. Les policiers décidèrent de fouiller la jarre et ils ne tardèrent pas à retrouver le cadavre d’un homme bien décomposé et méconnaissable. On arrêta tout le monde. Lors de l’interrogatoire, les Casanova refusèrent de répondre à toutes les questions. Quant à Madame Van Frick et sa fille elles ne cessaient de pleurer et répondaient seulement que Monsieur van Frick avait disparu et qu’elle ne savait pas où il était passé.
    « – Et Monsieur Casanova ? où il est Monsieur Casanova ?
  • Lequel ?
  • Ne faites les malins, monsieur Tino Casanova. On connaît le procédé » ricana un policier, « Monsieur Casanova a pris le maquis après avoir assassiné Monsieur van Frick. On n’allait pas se laisser ridiculiser comme ça devant les policiers belges et on allait leur montrer qu’on savait retrouver des criminels même en Corse ! Il suffit de fouiller les bergeries alentour ! ». Malheureusement l’administration fiscale belge doutant on ne sait pourquoi de l’efficacité de la police française, missionna discrêtement également des contrôleurs enquêteurs belges qui ne tardèrent pas à retrouver une cinquantaine d’individus recherchés par la police française qui aurait pour des raisons qu’on ignore, préféré qu’ils restassent cachés et fut bien embarrassée de devoir les arrêter. Parmi ces individus, on retrouva Monsieur van Frick qui ne pouvait être que Tino Casanova. Troublé monsieur van Frick reconnut tout ce qu’on voulut avec un fort accent belge. Monsieur Casanova était-il belge ? Suspicieux, les policiers français qu’on ne dupait pas aussi facilement, firent parvenir par le procureur de la république français une demande d’information au procureur belge pour savoir si un Casanova avait vécu en Belgique. La réponse du procureur de république belge fut positive. Il y avait bien un Casanova qui vivait en Belgique où il vendait des gauffres C’était donc le fin mot de l’histoire ! Monsieur Casanova qui n’avait pas payé le prix d’acquisition de son commerce à Monsieur van Frick, était retourné au pays!. Monsieur Van Frick était venu réclamer le prix de son commerce à Monsieur Casanova. Il y avait eu une dispute qui avait mal tourné et Monsieur Casanova avait tué Monsieur van Frick. Madame Casanova informée vit très vite tout l’intérêt qu’elle pouvait tirer de cette confusion et se mettant d’accord avec Madame van Frick, elle confirma à la police que c’était bien Monsieur Casanova qu’on avait retrouvé dans le maquis. Elles ignoraient que monsieur van Frick avait été assassiné et caché dans une jarre dans les combles. Monsieur van Frick retrouvant ses esprits comprit lui aussi après avoir parlé avec son avocat qu’il valait mieux pour lui être un meurtrier en France qu’un fraudeur fiscal belge. Il y avait eu une dispute entre lui et Monsieur van Frick et au cours de la bagarre, suite à une chute malencontreuse, la tête de Monsieur van Frick avait heurté une pierre et on l’avait dissimulé dans la grande jarre.. « C’était un accident comme il y en a beaucoup dans cette région » s’empressa de répondre la police qui n’arrivait plus à discerner qui était qui dans les suspects. Monsieur Van Frick devenu Casanova quitta avec soulagement sa bergerie inconfortable pour entrer en prison après avoir été condamné pour recel du cadavre de monsieur van Frick, d’où il sortit au bout de deux ans. L’administration belge essaya bien de saisir et de faire vendre l’appartement dans la maison mais finit par y renoncer car l’appartement ne pouvait être juridiquement distingué d’une maison en indivision entre on ne savait pas qui au juste. Monsieur van Frick était maintenant Monsieur Tino Casanova mais parfois aussi Ange Casanova car il est de tradition en Corse de porter le prénom de son frère, retraité pensionné et époux officiel de Madame Casanova, père de ses enfants et ami consolateur de la veuve inconsolée van Frick et de sa fille Sarah. Il rasa les fleurs, éleva les chèvres de sa femme et vendit ses fromages aux touristes belges, sur les marchés, en parlant corse avec un fort accent belge. Sa femme et sa fille s’adaptèrent très bien. Sarah s’associa avec Pauline pour exploiter un commerce de gaufres qui plaisait beaucoup sur les plages. Elles inventèrent une recette de beignets au fromage qu’on appela des miache et eurent beaucoup de petits van Frick-Casanova. Ne me demandez pas comment, cela ne vous regarde pas et puis je n’en sais rien et même si je le savais, je ne vous le dirais pas. On parle toujours trop.

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